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PETIT CONTE (A-MORAL)

 

Il était une fois un collège public, que fréquentait une population précaire, pour près de la moitié, des agriculteurs et ouvriers pour une grande part et quelques familles de cadres. Des gens d’un peu partout, de France, d’Angleterre, de Hollande, du Danemark, des gens d’Afrique, des gens d’Amérique… C’était bien sûr le cas dans la plupart des collèges de France, mais dans celui-là, ça fonctionnait bien : l’équipe était dynamique, travaillait beaucoup ensemble, ils formaient plein de projets pour les jeunes : éducatifs, culturels, pour l’apprentissage, pour la formation… Les jeunes faisaient des voyages en France et à l’étrangers, des sorties sportives, des sorties culturelles, l’association sportive recevait les jeunes le mercredi après-midi, le mardi il y avait l’orchestre junior, le midi et le soir des ateliers socio-culturels (théâtre, couture, soutien…), il y avait des séances de prévention santé et sexualité, une web-TV… Je crois que tout le monde pouvait y trouver quelque chose qui lui convenait. Pour preuve, dans cet établissement, 98% des élèves obtenaient leur brevet des collèges et pour ceux qui n’obtenaient que le certificat de formation générale, ils étaient accompagnés pour leur orientation professionnelle. Dans ce collège, il n’y avait pas de décrochage scolaire, pas de conseil de discipline. Pour les parents, presque jamais d’histoire de tabac, de shit, de harcèlement ou de racket.

Bref, c’était un collège où les parents mettaient leurs enfants en confiance et où les jeunes construisaient leur société adolescente, dans la mixité, dans le respect des différences sociales, et dans la cohabitation des cultures et des confessions.

C’était en France, en 2015 ! Alors peut-être que vous pensez qu’un tel établissement fut un exemple que tous les établissements voulaient suivre ? Parce qu’en 2015, l’observatoire européen des inégalités sociales et de la réussite scolaire avait épinglé la France sur son système scolaire justement: trop d’échec, trop de violences, des sacs trop lourds, pas assez de respect des jeunes... En plus, après les attentats du 11 janvier, on braquait les projecteurs sur les incivilités, on voulait encourager le respect de la laïcité, de la citoyenneté, on voulait améliorer vie à l’école, la réussite de chacun, le suivi individualisé… On aurait pu penser que ce fut un exemple… Mais non ! Il ne faut pas rêver ! Déjà que ce collège exista encore, c’était un peu un rêve… Peut-être que c’était insupportable justement : le recteur d’académie commença par supprimer le poste de conseiller d’éducation du collège, puis bientôt, purement et simplement il supprima le collège. Parce qu’il était trop petit : seulement 160 élèves ! Mais est-ce que ce n’était pas ça, sa particularité à ce collège : d’être petit et correctement fourni en personnel ? Non ! Non seulement on ne salua pas sa réussite, non seulement on n’encouragea pas son personnel à continuer, on ne soutint pas l’investissement professionnel et personnel, non seulement on ne se servit pas de son exemple pour inspirer les autres qui ne parvenaient pas à ces bons résultats, mais on cassa son organisation et sa dynamique !

C’était peut-être de ça qu’était malade l’ Â« Ã©ducation nationale Â», comme on l’appelait alors. Elle ne promouvait que la culture de la réussite personnelle : surtout ne pas copier sur son voisin, être le meilleur, récompenser les forts, abandonner les faibles… Elle avait oublié le prix de l’initiative personnelle, de la créativité, elle a appliqué la politique du protocole. Ah ça ! Ils les ont refaits les programmes, tous les deux ans au moins ! Ils n’ont jamais donné l’exemple du partage, du soutien et de la solidarité, qui sont pourtant des piliers de l’éducation familiale. Des recteurs incapables d’impulser ce genre d’esprit ni d’analyser leurs données, à quoi ça sert ? Et pourtant, dieu sait qu’à cette époque on en remplissait des statistiques, des rapports d’activité, des comptes rendus ! Mais qui les lisait ? Qui les mettait en perspective, qui les interprétait ? Il aurait mieux valu un bon ordinateur : Moins de 180 élèves égal suppression des moyens, c’est à la portée du premier logiciel venu, pas besoin d’un recteur pour ça, on aurait pu économiser 145 000€ par an, c’était à peu près le prix d’un poste de recteur. Ils auraient pu le payer ce poste de CPE ! Et même partager avec les établissements qui avaient besoin d’aide.

On aurait alors pu aider les enfants à grimper dans l’échelle sociale. Ils auraient pu un jour défendre l’égalité des chances et protéger les territoires abandonnés,  comme les banlieues ou les zones rurales. On aurait pu « Ã©duquer nationalement Â» des agriculteurs responsables, des ouvriers intelligents, des commerçants dynamiques, des petits entrepreneurs, des artisans, au lieu de fournir à la pelle des bacheliers à envoyer au chômage ou juste bons à être des technocrates à la pensée standardisée et insipides. On sait où ils nous ont menés, depuis, ces bureaucrates appliqués : il n’y en a plus d’ Â« Ã©ducation nationale Â». C’est chacun pour soi désormais. Et ça n’est pas drôle !

Je sais ! Tout ça c’est rien qu’une petite histoire. Il y en a eu tellement des histoires comme ça. Tant et tant qu’à la fin, elles nous ont paru banales, anodines, et on a laissé tomber. On a laissé tomber !

Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

 

Le 1er janvier 2020. Quelque part en France.

 

Notre école de milieu rural

 

 

Dans de nombreux villages, la présence d’une école constitue le dernier noyau, le dernier pilier de la vie collective, l’objet d’actions associatives, fédératrices pour les familles, les habitants.

Il y aurait une tendance à vouloir faire des économies dans l’administration publique, mais toucher à l’école quand son existence dans le village est justifiée est loin d’être une bonne idée.

L’école en milieu rural est bien plus qu’un lieu d’instruction. C’est un lieu de vie, de proximité, d’échange. De format familial, c’est là où les liens se tissent, où le respect peut s’apprendre, où les élèves sont connus de tous, où les parents s’investissent : c’est un symbole républicain.

En ville, il y a des écoles de quartier, elles correspondent à une identité, elles sont à l’image de leur quartier et les habitants y sont tous attachés.

En milieu rural, et pour nous à Vieux-Mareuil, notre école est celle de plusieurs villages, notre quartier est un espace plus vaste, où les gens habitent plus loin les uns des autres mais ne se connaissent pas moins bien pour autant, au contraire, peut-être.

Beaucoup d’entre nous ont choisi de vivre en milieu rural. Aujourd’hui, nous entendons le projet éventuel de fermeture d’une classe du regroupement pédagogique Vieux-Mareuil/Léguillac-de-Cercles et sommes soucieux de notre avenir puisque la tendance est à la suppression des petites structures. 

Fermer ces écoles de campagne signifierait que l’on ne pourrait plus bénéficier de ce droit de choisir son lieu de vie, que nous serions moins libres.

L’école en milieu rural fonctionne dans de nombreux cas, pourquoi vouloir casser cela ?

Il existe un dynamisme local important où les gens se connaissent, s’entraident, ont tout à créer car l’offre est bien moins grande qu’en ville. La solidarité existe, le bien vivre ensemble existe et la présence de nos écoles n’est pas étrangère à cela. L’implication des équipes pédagogiques est forte et leur travail auprès d’élèves aux niveaux scolaires différents est remarquable. L’Education Nationale est ainsi un partenaire de premier ordre dans la vie de nos villages. Malgré cela, vous voudriez fermer nos écoles où les enfants bénéficient de bonnes conditions de travail. Pourquoi ? Quel intérêt à cela, si ce n’est une logique économique de rentabilisation de l’école ? Mais nos enfants ne sont pas des marchandises et l’école n’est pas une centrale d’achat. L’école est le rempart à l’intolérance et le pilier de la citoyenneté : nous tenons à un maillage scolaire de proximité car nous qui vivons dans les campagnes avons tout à perdre dans la structuration en grandes infrastructures et ne pouvons pas laisser faire ce projet contraire à notre mode de vie.

De plus, si les élèves peuvent être bien suivis c’est bien parce qu’il n’y a pas surpopulation dans les classes. Les enfants bénéficient d’un cadre humain, propice à l’apprentissage mais aussi au vivre ensemble car nos petites écoles favorisent la mixité des niveaux et de ce fait, la mixité sociale et culturelle.

Les fermetures d’écoles, motivées par un objectif d’augmentation des effectifs par classe et des raisons économiques, sont pour nous un calcul à court terme voué à l’échec. Un problème détecté trop tard chez un enfant, des conditions d’apprentissage bruyantes, des enseignants fatigués etc. sont des facteurs de baisse de résultat qui ne seront pas satisfaisants sur le long terme : il faudra remettre des moyens supplémentaires, vous aurez des enseignants usés, il faudra plus de remplaçants etc. C’est une chaîne d’inepties qui va se mettre en place.

Dans un contexte écologique plus que fragile, ces fermetures d’écoles nous obligeraient à faire des kilomètres supplémentaires, à augmenter le temps de trajet de nos enfants. Non seulement, nous polluerions plus mais nous exposerions d’avantage nos enfants aux dangers de la route au quotidien. Et alors que le gouvernement s’est interrogé sur le rythme de l’enfant, ce schéma de déplacement nous parait contradictoire. La journée d’école pour certains enfants est déjà très longue avec parfois 1h30 de trajet en bus par jour et ces temps de trajet devraient encore augmenter ?

Nous avons choisi la campagne pour sa qualité de vie et le souhait d’élever nos enfants dans un environnement préservé, en acceptant d’être loin des services d’une agglomération, mais les fermetures d’écoles nous isoleraient de manière inacceptable et pénaliseraient nos enfants.

Et les acteurs de la vie locale, les habitants, y avez-vous pensé ? Du jour au lendemain, le travail effectué par certains pour entretenir, améliorer des infrastructures, qui ont mis de l’énergie au service des enfants et de la vie locale devrait s’arrêter comme cela ?

Du jour au lendemain, vous nous diriez « c’est fini ! Â». Et nous, derrière, brutalement, plus de bus scolaire, plus de rires, plus de cris, plus de sonneries, plus d’enfants.

Plus d’école dans nos villages signifierait aussi que plus personne ne voudrait et ne pourrait s’installer en zone rurale.

Ce serait une nouvelle accélération de la désertification rurale, de nos territoires, l’anéantissement de projets humains qui existent. D’une certaine manière vous décideriez du droit de vivre ou non de certains villages.

La ruralité se bat déjà pour exister, devra-t-elle se battre pour survivre ?

Nous avons choisi librement de vivre ici, nous sommes fiers et heureux d’être qui nous sommes, nous avons trouvé la qualité, notre équilibre. Merci au moins de respecter cela, de nous respecter et de nous écouter.

 

 

Benoit Ybert

Parent d’élèves

Conseiller municipal de Vieux-Mareuil

 

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